J'ai terminé ma dégustation 2020 du festival d'Annecy "On line" par la catégorie "off-Limits". Le titre de cette suite de courts-métrage m'a titillé. Le côté off est toujours passionnant, ce n'est pas André Martin qui nous contredirait. On ignore les limites à franchir, l'annonce est séduisante.
Je me suis bien distrait, en regrettant parfois pour certains films, aux qualités graphiques indéniables, un savant et assidu travail de sinistrose particulièrement réussi.
La musique
Des "musiques" électro, rendant hommage aux condensateurs EDF, des bruits simples de sérieux pétomanes débutants, des pseudo-variations avec bêlements et gloussements, n'arrivant pas cependant à être inquiétants et lubriques mènent parfois à la liquéfaction du spectateur, état qui précède de peu l'ennui abyssale.
L'animation
Des travaux de formes appliquées, d'étonnants mouvements de huisseries pénitentiaires ou l'évolution de liquides qui, à l'image de l'argent, suivent ennuyeusement les pentes, les attractions naturelles et le vent, consacrent le sacrifice de tout synchronisme jouissif et le saint appariement à une plate musique. Quelle étrange science que celle d'une fuite désespérée de toute forme d'harmonie ou de dynamique, d'un culte hors-sol de la lenteur et du vide.
Critiques en sursis ?
Ces films restent malgré tout intéressants, la culture des lenteurs inexpliquées marque certes le "sérieux" des œuvres mais finissent par décevoir à la fin quand finalement ... il ne s'est rien passé. Mais qu'attendait-on ? ... Je n'ai pas trouvé.
Le caractère expérimental indéniable de certains films décevant dans leur premier passage, me donne envie de les revoir sur un grand écran avec du bon son, dans l'espoir de me repentir de mes premières déceptions. En attendant avec impatience ces prochains actes de repentance et de contrition, intéressons-nous à un des films remarquable de cette programmation off-limits où cette fois-ci ... tout se passe !
Un film remarquable : Wieczór - Sunset de Marcin Gizycki - Pologne - 2019
Réalisation : Marcin Gizycki
Production : Black Dwarf, Marcin Gizycki
Distribution : Black Dwarf, Marcin Gizycki
Direction artistique : Marta Filipiak
Scénario : Marcin Gizycki
Storyboard : Marcin Gizycki
Décors : Marta Filipiak
Animation : Marcin Roszczyniala
Caméra : Lukasz Owczarzak
Musique : Witold Górka
Son : Witold Górka
Montage : Lukasz Owczarzak
Ne jouons pas les grincheux blasés qui cherchent de la bonne viande dans une pâtisserie, même si d'aucuns auraient pu déclamer : "Ceci n'est pas une pâtisserie" et réfuter ainsi ces villes critiques d'amateur glouton.
Mais voyons en quoi ce film se distingue.
Le film débute avec un long travelling sur un paysage désertique. Il n'y a pas grand chose, si ce n'est de belles couleurs orange, le grain du décor qui nous laisse espérer quelques objets animés qui nous rappelleraient les beaux films d'Hermína Týrlová pour nous replonger dans nos rêves de l'enfance.
Pendant ce lent traveling rasant, on a le temps de se dire qu'il s'agit peut être d'un hommage à Andreï Tarkoski. Mais ça se corse vite car dans cette lenteur et ce paysage vide, la musique de Witold Górka nous saisit et l'ensemble commence à nous transporter dans un autre univers ... où plus rien n'est sûr. Une batterie, quelques notes de guitare, un peu de piano, installe une curieuse atmosphère dramatique dans ce lent mouvement qui crée l'attente.
Le travelling continue pour s'arrêter sur un rail jouet autour duquel des personnages incrustés en prise de vue réelle, attendent avec sérieux, quasi immobiles; la musique monte en puissance. Il se passe peu de chose mais l'ensemble crée avec bonheur une tension : il va se passer quelque chose ...
Un lent travelling arrière élargit le cadre, que c'est beau le cinéma quand il y a un cadre ! Un train jouet arrive et s'arrête, les personnages ne montent pas. Le travelling arrière continue, le train repart et ... On ne raconte pas la fin, non mais alors ! :-)
Tous les mouvements de caméra, leurs lenteurs, les couleurs, les décors et les personnages presque immobiles, prennent tous leurs sens dans ce final. Ils participent à une forme cinématographique riche et dense pour notre plus grand plaisir. On ne peut qu'applaudir avec ferveur Marcin Gizycki (1951-) réalisateur, critique mais également historien de l'art ... qui nous offre une sublime surprise et un plaisir esthétique. Le dernier plan fait référence à une peinture surréaliste de Zenon Wasilewski (Wieczór - Sunset 1962) rappelant, comme l'ensemble du film, les œuvres de Magritte .
image : 1953 René Magritte - Le bon exemple - Portrait d'Alexandre Iolas in https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/cMeMe6/rdqg86y
Quel plaisir ! ce film où tout est cohérent, où tout se justifie au fur et à mesure de notre gourmande découverte : lenteurs, mouvements de caméras, attitude des personnages, couleurs, musique qui nous enveloppe graduellement et une fin improbable, simple et jouissive tant elle est intégrée dans des références culturelles, pleine de (non) sens. Bravo et merci pour une telle richesse !
Mais notre "goinfrerie", si elle est déjà pleinement satisfaite, n'est pas encore comblée par ce film. L'hommage animé était-il encore insuffisant ? L'auteur de la peinture, à laquelle il s'est beaucoup consacrée à la fin de sa vie, n'est autre que Zenon Wasilewski, un des pères du film d’animation polonaise.
Graphiste dans des studios de cinéma publicitaire, dessinateur de dessins humoristiques et satiriques dans les années 30, il se lance sur un film d'animation sur le roi Krakus, souverain légendaire de Pologne, et fondateur de la ville de Cracovie qui lui doit son nom. Interrompu par la deuxième guerre mondiale. Il complète ce film de marionnettes en 1947 avec un film en noir et blanc "Za króla Krakusa". Jusqu'en 1951, il a été le seul producteur de film de marionnettes en Pologne avant l'émergence de talents sur lesquels j'aurai l'occasion de revenir.
image : Za króla Krakusa. Un courageux jeune homme affronte le dragon qui terrorise le royaume in http://fototeka.fn.org.pl/public/cache/1-F-3497-1-1500x.jpg (2)
On peut voir une copie en anglais sur https://www.youtube.com/watch?v=HlO-4cJ8L6U
Image Zenon Wasilewski plaçant une marionnette dans le décor. in ttps://kultura.poznan.pl/mim/kultura/news/relacje-recenzje-opinie,c,9/animator-jak-wasilewski-walczyl-ze-smokiem,96282.html
Quel magnifique hommage ! dense, sensible, cultivé dont les racines culturelles suintent et distillent la sève d'un plaisir complet à ses spectateurs. Non, décidément ce film n'est pas une pipe ! Il faut voir et revoir Wieczór - Sunset de Marcin Gizyck car c'est un film remarquable.
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